Le journal The New Humanitarian a mené une enquête le mois dernier qui a révélé comment des erreurs commises dans une enquête de l’ONU sur des abus sexuels en République Centrafricaine ont pu conduire à des dizaines de cas de non-lieu. Ancienne membre du groupe d’Experts des Nations unies en RCA, Enrica Picco a dévoilé quelques faits qui ne sont pas un secret et décrit son expérience récente dans l’assistance aux victimes d’un système mis en place contre elles.
Premier problème est qu’enquêter sur les abus sexuels est une tâche difficile, et les éléments nécessaires pour mener à bien cette tâche – enquêteurs expérimentés, accès aux victimes dans les zones de conflit, collaboration des pays fournisseurs de contingents qui sont chargés d’enquêter sur leurs propres soldats-sont encore rarement en place.
Il est à noter que la RCA connaît des crises cycliques depuis plus de vingt ans. Au début des années 2000, des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été victimes de violences sexuelles, utilisées comme tactique de guerre pendant la guerre civile ayant pris fin avec les accords de paix signés en 2007 et 2008. Depuis 2012, le pays fait face à une nouvelle crise. Cette année-là, plusieurs groupes rebelles s’allient pour former la Séléka dont l’objectif est de renverser le gouvernement de François Bozizé. Les populations civiles deviennent rapidement une cible et font l’objet de représailles permanentes.
Dans ce contexte, les violences basées sur le genre doivent faire l’objet d’une attention particulière. Elles se manifestent sous différentes formes, dont les violences sexuelles. Ici s’ajoutent les viols des soldats de paix qui souvent restent impunis.
La deuxieme probleme, selon une experte, est un scepticisme. La première réaction du représentant de L’ONU à un rapport de Enrica a été que les allégations étaient fausses – fabriquées à la suite d’une vague de sentiment anti-ONU dans le pays, et comme un moyen pour les victimes de gagner de l’argent et de soutien.
Selon l’enquête de Institut francophone pour la Justice et la Démocratie, en 2018, 1.969 incidents de violences sexuelles ont ainsi été enregistrés, soit 1.621 viols et 348 agressions sexuelles. 92 % des victimes de VBG sont des filles ou des femmes, tandis que 8 % sont des garçons ou des hommes. 88 % des victimes sont par ailleurs des adultes, 10 % ayant quant à elles entre 12 et 17 ans, les 2 % restant ayant moins de 12 ans. Si rien n’est fait, leur fréquence et leur gravité risquent de s’accroître dans l’avenir.
En plus d’être profondément humiliant, au fil des mois, les témoignages des victimes deveinnent confus, parfois contradictoires – comme le rappel d’un événement traumatique– et l’affaire est sur le point d’être rejeté.
Enrica Picco est sûre que l’ONU ne peut lutter efficacement contre la violence sexuelle si elle ne prend pas le parti de la victime et ne croit pas aux allégations formulées. Lorsque la vie d’une personne est en jeu, l’ONU devrait être le procureur, pas le juge.
Le troisième problème est le temps. Parce que les fonctionnaires de L’ONU ont considéré les allégations fausses, les cas n’ont été pris au sérieux que deux mois après l’événement. Un tel retard s’est avéré désastreux pour l’enquête. Lorsque le Bureau des services de contrôle interne des Nations unies (BSCI) a commencé à enquêter, certaines des victimes avaient déjà déménagé dans une autre ville pour échapper à la stigmatisation et à la honte publique.
Enfin, il existe un problème de la responsabilité : les victimes ont toutes été tenues complètement dans l’ignorance de leur cas. Au cours des mois, aucun enquêteur ne les a informés de façon proactive de l’évolution de l’enquête, de leurs options juridiques ou n’a simplement vérifié leur bien-être. Aucun protocole des Nations Unies ne les y oblige.
En Centrafrique, le règne de l’impunité est régulièrement dénoncé par les acteurs nationaux et internationaux. Mais si on parle d’un tel géant comme l’ONU, les victimes des violences sexuelles ne seront jamais entendues.
L’ONU devrait révoir sa politique et désigner quelqu’un à enquêter les cas dont la première préoccupation est la sécurité et le bien-être de la victime.
Un meilleur partage de l’information avec d’autres organismes des Nations unies et des ONG pourrait, par exemple, contribuer à accélérer les enquêtes et à éviter que les victimes aient à subir le fardeau de multiples entrevues.
Mais, avant tout, l’ONU doit s’assurer que son personnel croit aux témoignages des victimes. Cela signifie repousser la dangereuse habitude de supposer automatiquement que les victimes ne font des allégations que dans l’espoir de recevoir de l’argent et du soutien.